Le marketing n’est plus seulement « assisté » par l’IA : il commence à être construit avec elle. Au-delà des prompts ponctuels, les équipes branchent désormais des modèles sur leurs données non structurées (appels, emails, chats), injectent des résumés et des enrichissements directement dans le CRM/CDP, et orchestrent des workflows décisionnels capables de recommander — parfois d’agir.
Cette inflexion déplace le centre de gravité du métier : la valeur ne se niche plus dans l’outil isolé, mais dans l’intégration — qualité des données, interopérabilité de la stack, gouvernance, et boucles d’apprentissage qui améliorent campagnes et parcours. Aux idées reçues succèdent des écarts concrets : certaines organisations B2B intègrent plus vite que le B2C, non par avance « technologique », mais parce que leurs processus, leurs volumes et leur architecture s’y prêtent mieux.
Le véritable enjeu, désormais, est d’industrialiser l’IA là où elle produit un avantage mesurable : extraire de la voix du client des signaux actionnables, personnaliser à l’échelle sans casser la cohérence de marque, automatiser sans perdre la maîtrise. C’est à cette condition que l’IA cesse d’être un gadget pour devenir un levier structurel de performance marketing.
1. État des lieux : assistants IA largement adoptés
Les assistants IA « stand-alone » sont massivement utilisés dans les services marketing. Selon l’étude menée par Scott Brinker pour chiefmartech (“Beyond AI assistants: how AI is being more deeply embedded in marketing and martech stacks”) auprès de 96 responsables martech et opérations marketing, 87,5 % déclarent que ces outils sont désormais « largement utilisés ».
Autrement dit : l’étape d’« adoption d’assistants IA » est majoritairement franchie. Ce qui pose alors la question : quel est le degré d’intégration de ces IA dans l’écosystème technologique marketing ? Les assistants IA restent utiles, mais sont-ils seulement des outils périphériques ou sont-ils imbriqués dans les processus, les données, les plateformes ? C’est ce que l’article explore.
2. De l’outil périphérique à l’intégration dans la stack martech
2.1 Taux d’intégration
L’un des faits saillants : seulement 42,7 % des répondants indiquent que les outils IA s’intègrent bien ou avec quelques défis mineurs dans leur stack martech existante.
Un écart majeur apparaît entre secteur B2B et B2C :
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54 % des entreprises B2B rapportent une intégration facile.
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Seulement 15,4 % des entreprises B2C indiquent le même niveau
Cette inversion du stéréotype — selon lequel les entreprises B2C seraient traditionnellement en avance en martech — est intéressante : elle suggère que les obstacles à l’intégration IA sont plus importants dans les contextes B2C (volume, complexité multicanale, rapidité de changement) que dans ceux B2B où les processus sont peut-être plus structurés.
2.2 Exploitation des données non structurées
L’article met en lumière un pivot important : l’IA n’intervient plus seulement sur des données structurées (CRM, tableurs, bases de données), mais de plus en plus sur des données non structurées : appels téléphoniques, emails, chats, transcriptions, et même scraping de sites web.
Les chiffres :
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65,6 % des répondants utilisent l’IA pour capturer, analyser et exploiter des données clients non structurées.
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Parmi les sources : enregistrement/transcription d’appels (~41,7 %), emails (~26 %), chatbots (~26 %)
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15,6 % utilisent le scraping de sites web de prospects/clients pour en tirer des insights.
Cette montée en puissance de l’IA sur les données non structurées est capitale : elle ouvre un potentiel de valorisation des « voix » et des conversations avec les clients, jusqu’alors moins accessibles, voire inexploitées.
2.3 Workflows et automatisation basés sur les LLM
L’un des volets les plus prospectifs concerne l’intégration des grands modèles de langage (LLM – Large Language Models) dans des workflows automatiques. Les résultats sont les suivants :
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68,7 % des entreprises ont déjà au moins un workflow ou automatisation basée sur un LLM.
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Principaux cas d’usage :
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Résumé de messages/contenus : 38,5 %
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Personnalisation de messages/contenus : 31,3 %
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Traduction de contenus/messages : 22,9 %
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Enrichissement de profils prospects/clients : 25 % (en B2B surtout)
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Décision ou recommandation automatisée (workflow « agentic ») : 20,8 %
Ce dernier point (« agentic workflows ») est à surveiller : il s’agit de l’IA qui ne se contente plus d’assister mais de recommander ou décider. Toutefois, l’article rappelle qu’il s’agit encore de la première phase et que les entreprises avancent prudemment.
2.4 Plateformes d’implantation de l’IA
Enfin, l’article interroge les plateformes dans lesquelles l’IA est intégrée. Résultats :
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44,8 % des répondants déclarent que les automatisations IA sont implantées dans les plateformes SaaS marketing existantes (CRM, MAP, DXP, CDP, etc.).
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iPaaS / plateformes d’orchestration des workflows : ~19,8 %
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IA développée « maison » : ~18,8 %
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Les plateformes « agent IA natives » (ex : CrewAI, Relevance AI…) : 8,3 %
Ces chiffres indiquent que, pour l’instant, les entreprises ne renouvellent pas massivement toute leur infrastructure martech : elles privilégient l’intégration dans ce qui existe déjà plutôt qu’un remaniement radical ou une adoption massive de plateformes IA natives (qui restent minoritaires). Cela est un signal fort pour toute stratégie adoptée.
3. Analyse critique – implications, opportunités, limites
3.1 Implications stratégiques
a) La chaîne de valeur des données se complexifie
Le fait que l’IA se branche sur des données non structurées change la donne. Jusqu’à présent, le marketing s’appuyait majoritairement sur des bases CRM, des profils segmentés, des campagnes ciblées. Désormais, l’IA permet d’extraire des insights depuis des interactions conversationnelles (appels, chatbots) ou même des actions prospectives (scraping de sites web). Cela signifie :
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une montée en valeur de la voix du client et des interactions « humaines » dans les données marketing ;
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une évolution vers des profilages plus riches : non seulement ce que fait le client, mais ce qu’il dit, ce qu’il pose comme questions, ce qu’il recherche implicitement ;
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une nécessité accrue de gouvernance de données (qualité des transcriptions, consentement, anonymisation) et d’architecture (capacité à relier données structurées & non structurées).
b) Le rôle du marketing évolue vers « augmentation par l’IA »
L’article montre que beaucoup d’usages d’IA sont de nature « augmentative » : résumer, personnaliser, traduire. Ces usages permettent au marketeur de passer de tâches répétitives ou chronophages à des tâches à plus forte valeur ajoutée. Pour un professionnel de la communication digitale, cela ouvre la voie à :
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plus de temps libéré pour la stratégie que pour l’exécution ;
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la capacité à proposer des services différenciés (ex : traduction et adaptation multilingue, personnalisation de contenus en temps réel) ;
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la montée en compétence dans l’IA comme levier de création, et non uniquement comme gadget.
c) Le passage progressif vers des workflow réellement autonomes
Les « agentic workflows » (IA capable de recommander, décider) sont encore minoritaires (~20 %) mais constituent la frontière suivante. Cela pose deux implications :
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il faut y aller progressivement : tester, mesurer, comprendre les limites, gérer les risques ;
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la dimension éthique, qualité, transparence devient centrale : quand l’IA décide ou recommande, qui vérifie ? quel est le niveau d’erreur acceptable ? comment s’assurer de la cohérence avec la marque ? Cela nécessite de proposer des pilotes quand l’IA commence à prendre des décisions, tout en prévoyant une supervision humaine forte.
3.2 Limites et garde-fous
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Qualité et gouvernance des données : si les données non structurées sont mal gérées, le risque est la mauvaise interprétation, le biais, ou des résultats erronés.
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Intégration technique : malgré les progrès, seulement ~42,7 % des entreprises rapportent une intégration « facile ». Cela suggère que les obstacles existent. Il faudra prévoir budgets, temps, compétences internes ou externalisées.
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Risque de surestimation de l’IA : l’article rappelle que l’agentic-ness est encore modéré ;l’IA n’est pas une « solution miracle » mais un outil d’augmentation.
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Changement culturel et compétences humaines : l’IA ne remplace pas le marketeur mais le transforme. Il faudra former, accompagner le changement et redéfinir les rôles.
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Éthique, transparence, confiance : plus l’IA décide ou recommande, plus les enjeux de confiance, de responsabilité, de conformité (RGPD, consentement, traçabilité) deviennent importants.
4. Bien intégrer l’IA dans son stack martech
Étape 1 : Audit & cartographie de votre stack et de vos données
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Inventorier les plateformes martech utilisées (CRM, MAP, CDP, DXP, iPaaS, etc.).
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Cartographier les sources de données : structurées (base clients, transactions, CRM), non structurées (appels, emails, chatbots, interactions web, forums) ; vérifier la qualité, l’accès, le format, le stockage.
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Évaluer l’intégration IA existante (utilisez-vous des assistants IA ? des workflows automatisés ? des LLM ?).
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Identifier les objectifs marketing/communication : plus de personnalisation, multilingue, augmentation de productivité, conversion, satisfaction client, etc.
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Repérer les contraintes techniques, humaines, budgétaires, et définir les indicateurs de succès (KPI).
Étape 2 : Sélection des cas d’usage IA pragmatiques
Sur la base des données de l’étude, privilégiez des cas d’usage à mise en œuvre rapide, valeur élevée, risque modéré :
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Résumé automatique de conversations/contenus (emails, transcriptions d’appels).
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Personnalisation de messages et contenus (par segmentation IA + données clients).
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Traduction/adaptation multilingue (déjà en usage courant).
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Enrichissement des profils prospects/clients (exploitation des données non structurées + scraping web).
Puis, selon maturité, évoluer vers : -
Workflow IA « agentic » (recommandation de contenu, déclenchement automatique d’une action, décision semi-autonome).
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Automatisation des campagnes basées sur l’IA (gestion des budgets, optimisation en temps réel, acquisition).
Étape 3 : Intégration technologique et paramétrage
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Choisir l’outil ou la plateforme à intégrer : privilégier l’extension de votre stack existante (CRM/MAP/CDP) plutôt qu’un système totalement nouveau, car selon l’étude c’est la voie la plus choisie (44,8 %).
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Établir les interfaces et flux de données : extraction des données non structurées, pré-traitement (transcription, nettoyage), intégration dans l’IA, retour des résultats dans les systèmes marketing.
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Mettre en place les workflows automatisés : définir la logique (ex : si email / transcription d’appel contient tel mot-clé, résumer et envoyer à l’agent commercial), tester, piloter.
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Définir les rôles humains et IA : qui surveille ? qui valide ? quel niveau d’autonomie ? prévoir des mécanismes de contrôle.
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Mesurer et optimiser : suivi des KPI (temps gagné, taux d’engagement, conversion, pertinence des recommandations) et ajustement itératif.
Étape 4 : Gouvernance, montée en maturité et culture
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Mettre en place une gouvernance IA : gestion des droits, transparence, traçabilité, biais, respect vie privée.
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Former les équipes marketing/communication à l’usage de l’IA, à la compréhension de ses limites, et à l’interprétation des résultats.
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Créer une culture « IA + humain » : l’IA n’est pas un substitut mais un amplificateur. Promouvoir un mindset d’expérimentation, d’apprentissage continu, d’itération.
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Évoluer vers des workflows plus autonomes au fur et à mesure de la maturité : dès que les premiers cas d’usage sont en place et optimisés, envisager l’agentic workflows, l’apprentissage automatique en boucle fermée, l’IA intégrée dans la prise de décision marketing.
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Continuer la veille technologique : les plateformes IA évoluent rapidement, et l’article rappelle que l’ère est encore « première mi-temps » pour l’IA dans le martech.
Conclusion
L’article de Scott Brinker met en lumière une mutation importante dans le domaine du marketing technologique : l’IA ne se contente plus d’être un outil d’appoint (assistant) mais devient progressivement un élément structurants des piles martech — dans les données, les workflows, les plateformes. Pour les professionnels du marketing et de la communication digitale, cela signifie : tirer parti de cette transition, mais avec rigueur, méthode, et stratégie.
Le futur est bien celui d’un marketing augmenté par l’IA : les premières batailles sont déjà gagnées (adoption d’assistants IA), mais la partie « intégration profonde dans la stack martech » se joue aujourd’hui. Saisissez-la.
FAQ : IA & marketing
Q1. Qu’entend-on par « stack martech » et pourquoi est-il important d’y intégrer l’IA ?
La « stack martech » désigne l’ensemble des plateformes, outils, workflows technologiques utilisés par le marketing (CRM, MAP, CDP, DXP, iPaaS, etc.). L’intégration de l’IA dans cette stack permet de :
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traiter à grande échelle des données plus variées (notamment non structurées) ;
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automatiser des workflows plus sophistiqués (résumé, personnalisation, automatisation) ;
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aligner les outils technologiques et l’IA pour produire des actions marketing plus efficaces, cohérentes et mesurables.
Q2. Pourquoi l’exploitation des données non structurées (ex : appels, emails, chatbots) est-elle un enjeu majeur ?
Ces données représentaient jusqu’ici une « zone grise » pour le marketing : riches en insights (intentions, frustrations, attentes), mais difficiles à traiter à grande échelle. Grâce aux grands modèles de langage (LLM) et aux méthodes d’IA, il est maintenant possible de capturer, analyser et exploiter ces données : l’étude indique que 65,6 % des entreprises s’y sont déjà engagées.Ce volet permet de mieux comprendre les clients, affiner les messages, personnaliser les interactions.
Q3. Quels sont les principaux cas d’usage de l’IA dans les workflows marketing ?
Voici les quatre usages principaux selon l’étude :
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Résumer messages/contenus : 38,5 %
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Personnaliser messages/contenus : 31,3 %
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Traduire messages/contenus : 22,9 %
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Enrichir profils prospects/clients : 25 %
Un usage plus avancé : workflow de décision ou recommandation autonome (« agentic workflows ») : 20,8 % des entreprises.
Q4. Pourquoi l’intégration de l’IA est-elle plus forte dans le B2B que dans le B2C ?
L’étude observe que 54 % des entreprises B2B rapportent une intégration facile, contre seulement 15,4 % pour les entreprises B2C. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cela : les entreprises B2B ont souvent des processus plus standardisés, des volumes de données moins massifs mais plus qualifiés, une approche ABM (Account Based Marketing) qui se prête bien aux workflows IA, et peut-être des enjeux technologiques ou culturels moins fragmentés que dans le B2C (multicanal, exigeant, rapide). Cela montre que les obstacles techniques, organisationnels et culturels peuvent être plus élevés en B2C.
Q5. Faut-il changer entièrement sa stack martech pour intégrer l’IA ?
Non : l’étude montre que la majorité des entreprises (44,8 %) utilisent leurs plateformes SaaS marketing existantes (CRM, MAP, CDP…) pour implanter les automatisations IA.
Deux options principales :
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Étendre la stack existante avec des modules/plug-ins IA.
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Construire ou intégrer ex-nihilo des plateformes IA natives ou développement maison (moins fréquent pour le moment).
Pour la plupart des organisations, la voie pragmatique est d’augmenter ce qui existe plutôt que de bâtir un nouvel écosystème de zéro.
Q6. Quels sont les dangers ou limites à prendre en compte avant d’intégrer l’IA dans le marketing ?
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Données de mauvaise qualité ou mal gouvernées : l’IA ne peut pas compenser des données erronées ou mal structurées.
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Intégration technique complexe ou coûteuse : seulement ~42,7 % des répondants rapportent une intégration facile.
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Risque de surestimation de l’IA : la frontière entre assistance et autonomie est encore en évolution ; il faut être prudent avec les « agentic workflows ».
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Compétences internes et changement culturel : l’IA modifie les rôles, les attentes, les processus; il faut accompagner.
Éthique, transparence et conformité : plus l’IA prend de décisions, plus les enjeux humains, légaux et de confiance augmentent.